Il y a tout juste dix ans, Manuel Davy, co-fondateur de l’équipe Sequel au centre de recherche Inria Lille Nord-Europe, lançait sa start-up : Vekia. La petite entreprise, spécialisée en Machine Learning proposait alors des prestations de conseil aux grands groupes de distribution de la région lilloise. Aujourd’hui, Vekia développe une solution de supply chain pour la gestion des stocks. Elle emploie une cinquantaine de personnes, travaille avec une vingtaine de grands groupes de distribution et a levé, en 2017, 12 millions d’euros pour se développer.

Qu’est-ce qui vous amené à créer votre entreprise en 2008 ?

A l’époque je faisais de la recherche en machine learning au CNRS et au centre Inria de Lille, où je co-dirigeais l’équipe Sequel. Nous avons très vite eu l’envie de nous rapprocher de l’industrie. Nous nous sommes tournés vers des entreprise de grande distribution (Auchan, Leroy Merlin, Chronodrive, Jules…), qui sont nombreuses dans la région. Ces groupes se sont montrés curieux de nos recherches, et nous avons commencé à travailler avec eux, sur des outils de prévision. Ensuite, nous avons voulu nous professionnaliser et en faire une start-up. Nous avons commencé par faire du conseil auprès des directions informatiques des grands groupes. Nous les accompagnions sur des questions de détection de fraude, de gestion du personnel et de prévision des stocks. Cela a duré 2-3 ans, puis nous avons fini par nous concentrer uniquement sur la création de logiciels de gestion des stocks.

En quoi consiste la solution Vekia aujourd’hui ?

Le pilotage des stocks est le caillou dans la chaussure des « retailers ». Les enseignes françaises ont des solutions anciennes, alors qu’ils doivent affronter la concurrence de géants comme Amazon, Cdiscount, Alibaba… C’est un défi difficile à relever. Sur internet, le consommateur veut recevoir le produit très rapidement. Pour le vendeur, cela implique d’avoir du stock partout en France et pour un très grand nombre de références. Les solutions traditionnelles ne sont pas capables de gérer cela. Nous proposons donc de confier à un système d’intelligence artificielle, la tâche complexe de gérer les stocks de manière très fine, dans chaque point de vente, chaque entrepôt, pour chaque référence. Aujourd’hui nous avons les solutions de machine learning les plus avancées au monde pour le pilotage des stocks pour la grande distribution. Petit à petit nous avons aussi ouvert notre marché aux entreprises de SAV, pour la gestion des pièces détachées.

En quoi votre solution est-elle l’une des plus innovantes au monde ?

D’un point de vue purement technologique, nous développons notre produit sur les technologies les plus avancées, comme Spark (calculs distribués). Ensuite, nous travaillons sur un très grand nombre et une très grande variété de données. Elles viennent soit des clients eux même, soit de sources externes, comme la météo par exemple. Nous avons également des statistiques extraites par des partenaires de réseaux sociaux. Nous n’utilisons pas de données personnelles, mais des données de tendances comme le nombre de like sur un produit par exemple. Enfin, nous nous adaptons à tous les derniers usages du e-commerce, comme le « click and collect ».
Ce qui fait notre atout, c’est aussi que nous maitrisons le machine learning. Nous ne sommes pas de simples utilisateurs; nous contribuons au développement des nouveaux algorithmes.

Revenons aux débuts de Vekia. Comment s’est passée la création de la start-up ? Comment avez-vous été aidé pour vous lancer ?

Au début du projet, le centre Inria de Lille a financé un poste d’ingénieur qui nous a aidé à faire nos premiers pilotes. Il nous a également mis à disposition un bureau et nous a aidé à nouer nos premiers contacts commerciaux. J’ai également été aidé par le CNRS, grâce au dispositif 25.1 qui permet de créer une entreprise tout en restant salarié de l’organisme, pendant un temps. J’ai perçu un salaire, à rembourser ultérieurement par l’entreprise.

« Le métier de chercheur prépare finalement assez bien aux fonctions de chef d’entreprise. »

 

Était-ce difficile de passer de l’univers de la recherche à celui de l’entreprise ?

Moi, j’y ai pris beaucoup de plaisir. Le métier de chercheur prépare finalement assez bien aux fonctions de chef d’entreprise. Il faut être factuel, à l’aise avec les chiffres, avec les concepts abstraits et complexes. Les chercheurs font également du marketing quand ils publient des articles, vont « vendre » leurs recherches dans des conférences…. Ensuite, la fibre commerciale, le management, sont des choses qu’on apprend sur le terrain, avec l’expérience. Personnellement, la création d’entreprise m’a toujours intéressé. Tout au long de mon parcours de chercheur j’ai été en contact avec le milieu de l’entreprise. J’ai toujours été assez entreprenant dans mon métier de chercheur. Au final, je pense que la clé, c’est de ne pas avoir peur de ne pas réussir.

L’intelligence artificielle fait aujourd’hui en France l’objet d’un plan d’action gouvernemental, avec notamment le rapport Villani. Quel regard portez-vous sur ce sujet ?

C’est une bonne nouvelle que le gouvernement se saisisse du sujet. Le rapport Villani est une opportunité pour la France de reprendre le leadership technologique et scientifique. Des organismes comme Inria ou BpiFrance sont extrêmement importants pour la réussite du dispositif. Il faut cultiver notre esprit « start up nation ».
Il y a cependant deux points qui sont très importants, selon moi. Il faut que la France fasse de l’Intelligence artificielle très spécialisée car, pour l’IA très générale, la place est prise par Microsoft, Google… L’autre enjeu important est la formation. Pour moi, cela doit commencer dès l’école maternelle car il faut que les citoyens de demain comprennent l’intelligence artificielle et soient capables d’interagir avec elle, tout en sachant encore mieux interagir entre humains.
Ensuite, je suis convaincu que les établissements d’enseignements supérieurs scientifiques doivent impérativement renforcer la formation scientifique. Si nous voulons être une start-up nation dans le domaine de l’IA, nous ne devons pas former des utilisateurs mais des créateurs d’IA. Et cela nécessite un niveau scientifique très élevé.

10 ans de Vekia : la success story d’une start-up Inria, interview réalisée pour inria.fr