Quand la crise frappe, chaque heure compte. En novembre 2024, une cyberattaque paralyse une partie du système d’information de Martin Brower, logisticien historique de McDonald’s. En huit jours, les équipes de Vekia relèvent le défi d’installer une plateforme de repli, fonctionnelle et utilisable. Ce n’est ni un miracle, ni un conte de start-up : c’est le fruit d’une gouvernance claire, d’une collaboration forte, et d’une exécution radicalement focalisée.

Une crise systémique, brutale et urgente : le choc initial et la réponse

Le 23 novembre 2024, la cyberattaque qui touche BlueYonder, un fournisseur mondial de logiciels de gestion de stocks, a des conséquences immédiates pour des milliers de points de vente. Pour Martin Brower, qui gère l’approvisionnement des restaurants McDonald’s dans plusieurs pays, l’accès à la plateforme de planification est coupé. Du jour au lendemain, impossible de calculer les besoins de chaque entrepôt, impossible de projeter les commandes.

L’impact est à la fois opérationnel et symbolique. Comme l’explique Fabien Isaert, responsable produit chez Vekia :  « Le rôle de Martin Brower, c’est d’être invisible. Si le restaurant est approvisionné, tout va bien. Mais là, l’infrastructure même était menacée. »

Face à cette rupture, la réaction de Martin Brower est rapide : ils sollicitent Vekia pour envisager une solution de secours, en particulier sur le marché australien qui représente plus de 1000 restaurants McDonald’s. C’est Manuel Davy, fondateur de Vekia, qui reçoit l’appel. Il connaît les enjeux, et même s’il ressent une forte envie de répondre présent, il reste lucide : « Je ne promets rien, mais on va voir ce qu’on peut faire ». En interne, les équipes sont mobilisées en urgence pour évaluer le réalisme d’une telle ambition. Moins d’une heure plus tard, le verdict tombe : c’est faisable. Mais seulement si certaines conditions sont réunies.

Une infrastructure sécurisée, invisible mais décisive

Dans ce type de crise, la reconstruction rapide d’un environnement de travail opérationnel ne repose pas seulement sur les algorithmes ou les modèles métiers. Elle dépend aussi d’une couche souvent invisible, mais déterminante : l’infrastructure technique.

Thibault Devred, DevOps chez Vekia, en est convaincu. Dès les premières heures, il mobilise les outils internes d’automatisation pour mettre en service une infrastructure isolée, sécurisée, et performante. « Heureusement, nos process d’automatisation étaient déjà en place. On a pu construire un environnement propre, sécurisé et isolé en quelques heures. C’est là qu’on mesure la valeur d’une préparation invisible. »

Cette réactivité n’est pas le fruit du hasard. Elle repose sur des standards internes robustes, des procédures documentées, et une culture DevOps mature. La capacité à déployer en quelques clics une infrastructure complète, chiffrée, cloisonnée, et monitorée a permis aux équipes applicatives de se concentrer immédiatement sur leur cœur de mission : la donnée et la décision.
« On parle souvent de résilience applicative, mais la vraie résilience commence dans les fondations techniques. C’est ce qu’on a expérimenté ici dans le concret », conclut Thibault Devred.

Structurer l’urgence : créer un cadre de travail à haute intensité

La première condition posée par Vekia est organisationnelle. Il faut pouvoir travailler vite, avec peu de frictions. Pas de spécifications figées, pas de validations successives, pas de couches hiérarchiques intercalées. Juste un objectif clair : produire, au plus vite, des propositions de commande fiables.

Dès le lendemain, Vekia met en place deux équipes. L’équipe « Kangourou », dirigée par Sylvain Sanahujas, data engineer senior, est dédiée au projet de secours. Elle est composée de profils seniors, capables de décider vite et d’exécuter sans friction.

En parallèle, l’équipe « Pitbull » est créée pour assurer la continuité des autres projets. Le nom est un clin d’œil assumé à leur mission : ne rien lâcher. Cette cellule veille à ce que les engagements clients soient tenus, et que l’entreprise continue de fonctionner sans chaos. Fabien Isaert le souligne : « Sans Pitbull, on aurait sauvé un client en mettant tous les autres en difficulté. Ils ont tenu la boutique pendant que nous étions en sprint. »

Le cadre est volontairement resserré : présentiel imposé, interactions minimales avec l’extérieur, décision rapide, autonomie forte. Le lieu : les bureaux de Lille. Le mode opératoire : tableau blanc, post-its, to-do lists manuscrites. Pas de mail, très peu de visios. C’est un sprint. Et tout est orienté vers le court terme.

Réintégrer des données critiques et livrer vite

Sur le plan technique, la difficulté principale est claire : récupérer et traiter les données dans les délais. Stocks, ventes, historiques, commandes… Tout doit être fiabilisé et injecté rapidement.

C’est Sylvain Sanahujas, à la tête de l’équipe Kangourou, qui coordonne l’intégration. Il se souvient : « Notre premier doute, c’était : est-ce qu’ils vont pouvoir nous envoyer les flux, dans les bons formats, et rapidement ? ». Heureusement : les équipes de Martin Brower sont très bien organisées. Les flux arrivent propres. Les formats sont conformes. Et surtout, la communication est fluide.

Pour aller plus vite, Vekia contourne ses outils d’intégration standards. Les traitements sont réécrits pour absorber des volumes massifs. En trois jours, la première chaîne de calcul est en place. Les premières propositions sont là. Exploitables. Et validées.

Transformer la donnée brute en décisions : un défi de data science sous contrainte

Réintégrer les données était une première étape ; leur donner du sens, en était une seconde, tout aussi critique. La valeur de l’opération Kangourou reposait sur la capacité à transformer rapidement des historiques, des stocks et des rythmes de vente en décisions de réapprovisionnement robustes.

Félix Berge, data scientist chez Vekia, a directement travaillé sur cette phase : « Notre enjeu, c’était d’utiliser les modèles existants de notre solution, en les adaptant très rapidement à une situation incomplète. Il fallait être capable d’apprendre vite, à partir de données parfois bruitées, pour faire des suggestions fiables, sans sur-ajuster ».

Au lieu de chercher la perfection statistique, l’équipe a misé sur la robustesse économique : stabiliser les propositions, éviter les ruptures, et s’assurer que les décisions restaient explicables.
« Le but, ce n’était pas de prédire parfaitement, mais de proposer intelligemment », résume Félix.

Cette approche pragmatique a permis de livrer un moteur décisionnel efficace en quelques jours, capable d’évoluer au fil de la consolidation progressive des flux.

Les conditions réelles du succès

Ce succès rapide repose sur des prérequis souvent ignorés.

Premièrement, une gouvernance ultra-courte. Sylvain Sanahujas et son alter ego chez Martin Brower se parlent quotidiennement, valident, arbitrent, sans intermédiaire. Ensuite, une architecture logicielle modulaire, qui permet d’activer seulement ce qui est utile. Enfin, un client très présent, précis, impliqué. « Ils étaient hyper carrés. On avait l’impression de bosser avec nos propres équipes », confie Fabien Isaert.

Mais surtout, les équipes Vekia travaillent dans une logique incrémentale. On ne cherche pas un produit fini, on veut un outil qui fonctionne, même imparfait. Et on améliore ensuite.

L’humain dans la tempête : contenir le stress, maintenir le cap

Travailler en crise, c’est aussi résister à la surchauffe. « Le plus grand risque, c’était le surengagement. Mon rôle, c’était de freiner, pas d’accélérer », explique Manuel Davy.
La mise en présentiel joue ici un rôle fondamental. Elle permet aux équipes de se coordonner efficacement, mais aussi de se soutenir. Sylvain Sanahujas : « Quand tu franchis la porte, tu entres en mission. Mais le soir, tu ressors. Et ça change tout ».
La dynamique est intense, mais contenue. Les temps de pause sont respectés. Le collectif prend le relais quand un membre fatigue. L’équipe avance, ensemble. Et le sens de la mission donne l’énergie.

Et ensuite ? Capitaliser sans figer, transmettre sans dogmatiser

Dix jours après l’appel initial, la chaîne est en production. La suite est plus classique : documentation, intégration dans la roadmap produit, ajout d’indicateurs, fiabilisation de la nomenclature (Bill of Materials).

Mais Vekia ne cherche pas à « industrialiser » le modèle. Ce qui a fonctionné ici, c’est l’exception. Il faut donc apprendre sans standardiser. Adapter sans généraliser. Et surtout, préserver l’état d’esprit : responsabilisation, focus, impact.

Une méthodologie de crise qui peut inspirer

Ce que Vekia a déployé en 8 jours n’est pas une réponse magique. Mais les principes sous-jacents sont reproductibles :

  • Créer un espace-temps dédié à la résolution,
  • Assumer une gouvernance ultra-courte,
  • Viser un MVP fonctionnel plutôt qu’un produit parfait,
  • Mettre en place des contacts humains quotidiens,
  • Ne pas avoir peur d’échouer vite pour corriger vite.

« C’est la crise qui nous a permis d’être aussi rapides. Mais c’est le cadre qu’on a mis qui a permis de ne pas exploser », conclut Fabien Isaert.

Conclusion : un sprint réussi, un modèle de lucidité

L’opération Kangourou est un exemple rare de gestion de crise technologique et humaine réussie. Ce n’est pas un exploit à répéter chaque mois. C’est un rappel utile : sous pression, des équipes bien encadrées, respectées, et autonomes peuvent accomplir beaucoup.

Ce n’est pas une méthode miracle. Mais une preuve que rigueur, confiance et clarté peuvent transformer une crise en accélérateur de valeur.