La démonstration au travers d’un cas d’étude pratique
Objectif
La valeur d’une prévision ne réside pas tant dans sa précision que dans sa capacité à décrire précisément l’incertitude qui l’accompagne.
Au cours des dernières années, cette idée a suscité de plus en plus d’attention sous l’appellation prévision probabiliste.
Aujourd’hui, dans la plupart des publications, la prévision probabiliste est considérée comme le nouveau « must-have » de la Supply Chain. Elle est d’ailleurs pressentie comme la méthode qui remplacera les bonnes vieilles méthodes de prévision utilisées depuis des décennies.
Mais qu’en est-il réellement ? La prévision probabiliste va-t-elle réellement devenir la nouvelle norme ? Au-delà des considérations purement théoriques et scientifiques, quel ROI une entreprise peut-elle concrètement espérer en retirer ?
Ce billet présente la synthèse d’une des rares études s’intéressant à la prévision probabiliste sous l’angle économique.
De la prévision parfaite
Dans notre billet « les apports du probabiliste dans la Supply Chain » de septembre dernier, nous mettions en avant une caractéristique fondamentale du futur, à savoir son incertitude.
Personne ne peut affirmer connaître précisément l’avenir. Des années d’expérience peuvent aider un expert à prévoir plus justement qu’un néophyte. L’exploitation avancée de données peut permettre à des algorithmes avancés d’améliorer la précision des prévisions. Pour autant, ni l’une ni l’autre ne permettront jamais de décrire le futur avec précision et fiabilité. Une part importante de l’incertitude qui le caractérise est irréductible.
Dès l’autre, l’un des principaux enjeux des Supply Chain moderne est de prendre aujourd’hui les bonnes décisions pour un demain incertain.
De façon surprenante, on note avec effroi que la quasi-totalité des process de décisions aujourd’hui en place font l’hypothèse d’une prévision parfaite, ignorant de fait l’information sans doute la plus importante : l’incertitude qui les accompagne.
Depuis quelques décennies, les choses changent… doucement mais certainement. On commence à promouvoir activement des approches qui à l’opposé des approches historiques embrassent pleinement l’incertitude pour apporter encore davantage de valeur.
Lorsque l’on tente de traiter ces ruptures, cela devient un processus fastidieux, bien souvent manuel, basé sur des règles empiriques, issu de données éclatées dans un système d’information et pour lequel il est souvent difficile d’avoir de la visibilité au-delà de la rupture qui vient de survenir.
Du déterministe au probabiliste
Prévisions déterministes
La prévision déterministe est la prévision utilisée depuis des décennies en Supply Chain. Si vous vous appuyez sur des prévisions, alors il y a 99 % de chances que ce soit sur des prévisions déterministes que votre entreprise applique actuellement.
L’objectif d’une prévision déterministe est de prédire « ce que sera l’avenir », aussi exactement que possible. Bien sûr, comme nous l’avons rappelé en introduction, l’avenir est incertain par nature. Par conséquent, ces prévisions ne se réalisent jamais parfaitement. C’est d’ailleurs pour cela que les prévisions sont si souvent critiquées.
Dans la pratique, les valeurs prédites sont généralement des valeurs médianes ou moyennes. Il y a 50% de chances que la valeur réelle soit supérieure, 50% qu’elle soit inférieure. Pile ou face ?
Pourtant, en dépit de cette réalité mathématique, les process de décision qui consomment ces prévisions la considèrent presque toujours comme « la vérité ». Ils font l’hypothèse que ces prévisions se produiront comme prévu, pas de place pour l’aléa.
Bien sûr, les professionnels sont bien conscients de cette limite. C’est d’ailleurs pour cela, pour se protéger, qu’on ajoute généralement une sécurité.
C’est typiquement le cas des stocks de sécurité. Ces stocks sont établis pour se protéger d’une demande réelle plus élevée que celle prévue. Ils sont généralement définis en partant de l’hypothèse que la demande suit une distribution mathématique classique, comme la loi normale. La mise en place de stocks de sécurité permet ainsi d’augmenter le niveau de service de 50% (sur la base des seules prévisions déterministes) a par exemple 90/95/99% (sur la base des prévisions et de stocks de sécurité).
Prévision quantile
Le concept de la prévision quantile est légèrement différent. Il s’agit non plus de prévoir la médiane (percentile 50%) mais plutôt un percentile spécifique (90/95/99%). Il s’agit donc d’une prévision biaisée délibérément ? !
Le point important ici est que l’incertitude fait désormais partie intégrante de la prévision. Il n’est donc plus nécessaire de définir un stock de sécurité distinct (du moins pour se protéger contre la variabilité de la demande). Le stock cyclique et le stock de sécurité forment désormais un stock unique qui évolue dynamiquement en fonction de la prévision.
Parce qu’elle fait fi d’une pseudo distribution normale, la prévision quantile permet une prise de décision plus adaptée à la réalité.
Prévisions probabilistes
Au lieu de fournir une prévision unique (qu’il s’agisse des valeurs médianes ou des percentiles 90/95/99 %), une prévision probabiliste décrit la distribution de l’incertitude dans son intégralité.
L’objectif de cette approche prévisionnelle est donc de décrire « ce que l’avenir pourrait être » plutôt que de prédire « ce que l’avenir sera ».
« Il vaut mieux avoir vaguement raison qu’exactement tort » – Carveth Read (1920)
Par exemple, une telle distribution pourrait ressembler à ceci :
La somme de ces probabilités est égale à 100 %.
Puisque l’incertitude est désormais intégralement décrite, la prévision probabiliste fournit une information bien plus riche que les autres types de prévision.
Le passage à la prévision probabiliste permet ainsi théoriquement de prendre des décisions plus précises encore. Elle autorise enfin d’inclure les différents scénarios possibles et leur probabilité d’occurrence dans la prise de décision et d’identifier ainsi le scénario optimal (maximisant la valeur, minimisant les coûts).
De la valeur ajoutée des méthodes de prévisions
Même si la théorie probabiliste est séduisante d’un point de vue intellectuel, ce qui importe avant tout c’est la valeur ajoutée qu’elle apporte ou l’économie qu’elle permet de réaliser !
L’internet regorge de « bonnes idées » permettant théoriquement d’améliorer un process, mais qui finalement ne génère que peu de valeur voire parfois en détruise !
Afin de démontrer l’intérêt économique d’une approche probabiliste, nous avons longuement cherché des études de cas déjà publiées… mais sans succès. Beaucoup d’entreprises protègent jalousement le secret de leur réussite ou à l’inverse se retiennent bien d’étaler les causes de leur contre-performance…
Pour combler ce trou béant, nous avons mené par nous-même une étude de cas approfondie. Cette étude illustre l’apport économique des différents forecasts dans un contexte de type « grande distribution ». Elle s’appuie sur les données transmises par Walmart dans le cadre d’une compétition majeure de datascience, la compétition M5. Au total, nous disposons ainsi de 54 méthodes de prévision distinctes, appliquées à 3 réassorts, 3049 articles et 10 magasins, soit plus de 5 millions de décisions d’approvisionnement analysées.
Que démontre cette étude ?
Une première partie de cette étude a été rendu publique (en anglais) ici : https://www.linkedin.com/pulse/roi-probabilistic-forecasting-experimental-casestudy-robette-/
En synthèse, que révèle-t-elle ?
Passer des prévisions déterministes (bleu) aux prévisions quantiles (violet) améliore significativement les performances. Les meilleures méthodes quantiles réduisent ainsi les coûts d’approvisionnement de 11% à 23%.
Passer des prévisions déterministes (bleu) aux prévisions probabilistes (orange) est encore plus significatif. Les meilleures méthodes probabilistes réduisent en effet les coûts d’approvisionnement de 37% à 48%.
Conclusions
Cette étude démontre que la prévision probabiliste est bien plus qu’un simple différenciant marketing.
Cette nouvelle approche est non seulement plus juste d’un point de vue théorique, mais elle est surtout capable d’apporter des avantages massifs aux entreprises, réduisant les coûts de moitié dans les meilleurs des cas, d’un tiers dans les moins favorables.
En fait, en rééclairant les enjeux et en invitant à reconsidérer la valeur de l’incertitude, l’approche probabiliste nous rappelle à des fondamentaux oubliés : l’enjeu clé de nos Supply Chain est de prendre des décisions éclairées dans un environnement hautement incertain.
De cette étude donc, et avec un niveau d’incertitude très faible, nous pouvons prédire un avenir radieux à la prévision probabiliste, appelée remplacer très prochainement les approches déterministes historiques…